Claude Marc Bourget - C'est une belle journée

La Bataille des Alberti, suivi du Sagittaire d’Evesham, récits

CLAUDE MARC BOURGET
LA BATAILLE DES ALBERTI, suivi de LE SAGITTAIRE D’EVESHAM, récits

BEFFROI, Québec, 1990 (135 pages)

Document disponible à la Bibliothèque et archives nationales du Québec (IRIS)

EXTRAIT. La Bataille des Alberti / Extraits du premier chapitre.

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Mon arrivée dans l’Université,
par le fleuve où je rembarque aujourd’hui,
vieux et blessé.

Àprésent que là-bas, pour des raisons in­croya­bles, meu­rent et dégor­gent les pre­miers pays du cou­chant, l’A­tlan­ti­que est une mer de trans­port et d’é­cu­me, plus même océa­ne. Leurs restes plu­sieurs fois vé­nérables ont gavé sa gran­deur et pénè­trent à l’inté­rieur d’i­ci, se­con­de terre occi­den­tale en sa plus haute tierce, qui seule tou­che au ciel bo­réal, la North Ame­rica. Il y a com­me une pente du temps vers l’ou­est in­ter­minable et que fait à peine décli­ner à soi tout le ma­gné­tisme du nord. Je suis né en mar­ge de ce pays des en­ge­lu­res, mais j’en ai connu l’inté­rieur aussi, du moins en­tre mes pro­pres li­mi­tes.

La voie de pénétration est un fleuve im­mense et re­pu. Au fond de cette voie, dans l’enfance du fleu­ve, s’effilo­che la ma­tière li­quide, comme afin de faire pren­dre racine à son ba­gage  ; de fines pen­tes attrou­pées, pour ainsi dire à contre­temps, y font une armée de ra­pi­des et de chutes. Et dos à cette agita­tion bat­tante, ap­puyée au cœur du com­bat, Mon­tréal est as­sise, ville in­sulaire qui regarde à son port remon­ter la dif­for­mité sinueu­se et très impure de la lon­gue masse d’eau. Mes aven­tures m’ont con­duit à croi­re que cette île du de­dans fait partie des pre­miers restes voya­geurs du pre­mier oc­ci­dent  ; plan­tée là com­me un coin, elle main­tien­drait l’é­car­te­ment des bords de la cas­sure, grande ou­verte la voie et bien ten­du, sur­tout, le piège à ses pa­reils. Pres­que tout ici sup­pose en fait une guerre entre des vesti­ges.

(…)

Ce qu’à cette époque il m’arriva tantôt de croi­re, tan­tôt de sa­voir, en cette université de faire, si haut per­ché et sous pa­reille protection, je vou­drais donc en livrer le fil à mes sem­bla­bles. Mais c’est en les priant d’absou­dre ma faible plu­me, qui plie sous le temps. Ils ne peu­vent lui te­nir rigueur des ap­prêts dont elle cher­che à re­vêtir ses man­ques et ceux, plus nus en­core, de ma mé­moire épou­van­table. Depuis cent ans que je n’ai pas écrit ni lu, et tandis que je navigue de nou­veau sur la masse du fleuve, mais à l’envers et criblé de plaies, le plus ardu est d’or­don­ner mes pa­roles autour de la pro­ces­sion des faits étran­ges qui m’ont blessé de la sorte et retiré du monde si long­temps.

…………………… »

EXTRAIT. Le Sagittaire d’Evesham / Premier chapitre

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Worcestershire, le 4 août 1265

Je crois à mon étoile, qui est bonne, mais par les plaines mar­neuses où j’accom­pagne mon prince, qui aime son archer comme sa plus belle bête de chasse, je vais également sous les fatigues d’une progression sans trêve ; et j’ai déjà vu combien les choses de la terre aussi peuvent influencer mon œil et ma flèche.

Nous sommes presque vingt mille hommes à avancer par une lune humide, qui, tels des loups, com­battons des chiens. C’est depuis le jour d’hier qu’il me semble, nous avons repris une route vic­torieuse.

Simon de Montfort s’était appuyé sur les Gallois indociles pour nous prendre des châ­teaux, mais nous avions gardé les ponts de la Saverne, et, au-delà du dernier, à battre la rive galloise, nous l’avions refoulé à la ville que là-bas on appelle Casnewidd ar Wysg. Sur ce golfe où elle est, l’attaque de ses navires par nos galères lui avait bloqué la rive an­glaise et ache­vait de l’enfermer sur les landes de Sir Fynwy. Or, de Montfort avait à l’est son fils ac­courant de Londres à dessein de nous coincer entre eux deux.

C’est à Kenilworth que notre jeune géné­ral nous fit foncer une première fois à tra­vers la nuit. L’aube nous habilla de brume et nous surprîmes facilement ces renforts. Je tiens l’amitié que nous a fait le temps pour un pro­dige, mais l’invention fut d’atta­quer d’abord la mâchoire mobile de l’étau. Je crois que de retour à Worcester, mon prince a compris que bientôt il dépasserait en génie Simon de Mont­fort son oncle, ce vieux comte de Leices­ter duquel il avait tant appris en de meil­leurs jours et dont il venait d’anéantir un moins brillant élève. N’empêche qu’en­tre-temps, l’oncle a su profiter de notre ma­nœu­vre en traversant finalement la Saverne à deux pas de la ville : suprê­me tentative de rallier un fils qu’il ne sait pas mort.

De Worcester à Kenilworth, puis de Wor­cester à maintenant que nous-mêmes à bout mais tous enra­gés d’en finir, nous tâchons à forcer de nou­veau cet immense chien, la route nocturne est tou­jours plus prometteuse. Mais l’ap­proche d’Eve­sham m’em­porte aussi sur les fumées d’une autre ivresse. Je me sens remon­ter la marche des événe­ments qui, après celle des astres, m’a fait ainsi que je suis, ni jeune ni vieux encore, chevauchant auprès de Lord Édouard mon prince et pro­tecteur.

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Critique / Festival de jazz de Montréal (Piano +) / 1983

Festival de jazz de Montréal / Piano solo Improvisations

Bibliothèque nationale, Canada, 1983

(Enregistrement perdu)

« Au programme, un récital de Claude Marc Bourget, pianiste improvisateur de 26 ans, qui ne va pas sans rappeler le style du pianiste américain Cecil Taylor. Sans jamais succomber à la tentation d’associer liberté et gratuité, Bourget s’est livré avec une rigueur remarquable. Une musique énergique, extrêmement dense, et d’une richesse harmonique peu commune. Autodidacte, Bourget étale des qualités techniques impressionnantes et témoigne d’un souffle créateur inépuisable.»

Pierre Boulet, Le soleil, 12 juillet 1983.