LES IMMORTELS DE MATHIJSEN, roman
CLAUDE MARC BOURGET

Les Immortels de Mathijsen, Roman, HUMANITAS, Montréal, 2000

Document disponible à la Bibliothèque et archives nationales du Québec (IRIS)

Lire la critique de Sophie Pouliot
dans Le Devoir (2001) : « Suspense articulé ».

EXTRAIT 1 / Les Immortels de Mathijsen / Avant-propos

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La gloire est le soleil des morts.
Balzac

Montréal, 1949

Je suis Adrien Lepeinteur, alias Adrian Painter. Ma nais­sance à Montréal fut cause de ce nom postiche et faillit faire de moi un écrivain glorifié dans l’Amérique entière, par l’autel des journaux et des universités yankees.

Le lecteur se souviendra peu de l’affaire abominable qui me fit ainsi frôler la survivance. Affaire dont pourtant quelque dénouement, une nuit, à Manhattan, souffla son bruit jusque loin au-delà de New-York la nombreuse et de son île étrange. Bien souvent, et là plus qu’ailleurs, la croissance des actualités nouvelles étouffe la végétation des faits que nous pensions garder clairs à l’esprit. Mais il me semblera toujours qu’après un temps de sang et d’encre coulés, les journalistes de la City, les greffiers de Washington, les annalistes du crime, toute une race écrivante conspira quelque effacement de cette affaire-là, son nettoyage, — un certain silence, sur elle, du papier.

Or à présent, c’est égal et tout un. Je me décide à donner acte de ce qui se passa chez Gregory Mat­thewsen & Co., Publishers, tandis que s’y levait, si près de ma pénombre, le soleil des morts. Comme à publier ce que plus tard, malgré la part invincible du néant, il y eut d’aveux inécoutés, de propos inédits et de tardives évidences. Ainsi choisirai-je peut-être un peu, à mon tour, à qui va l’oubli, à qui la mémoire.

 EXTRAIT 2 / Les Immortels de Mathijsen / Chapitre VIII

Châh mat

Je ne parlerai pas de mon arrivée devant le haut temple de Central Park, dans les feux et les échos de la police et des reporters, entre les mouvements et les conciliabules d’une foule qu’un barrage d’uniformes s’appliquait à bannir des grands escaliers de la Cinquième avenue, que descendait comme une dernière émanation du drame. Je dus démordre de mes prétentions à entrer là, bien entendu, toutes légitimes que je les jugeais. Aussi je passe à la connaissance qu’en donnèrent au peuple de New-York, dès leur première édition du lendemain, la panoplie sans égale des journaux de la City*, — ainsi qu’au reste des Américains, ses agences télégraphiques. Je crois savoir qu’eurent lieu, également, des expériences de radiodiffusion.

Un troisième auteur de chez Matthewsen & Co., Publishers, était mort assassiné, dans l’après-midi d’hier, de la plus terrifiante façon. Une bête immonde et introuvable, révélée par ses deux précédents ravages, était revenue nous infliger son art importé des ténèbres, — ce coup-ci dans les murs du Metropolitan Museum, maintenant dépositaires d’un chef-d’œuvre du diable. Miss Eleanor Hamlett, dont un premier roman paraissait aujourd’hui même et que des fonctions plus officielles avaient amenée à New-York, entre autres gens d’Art et d’An­tiquités, pour inaugurer les célèbres Greco de la collection Havemeyer, fut non seulement étouffée par les pattes d’une chose inexhaustible, mais souillée jusqu’en ses profondeurs vasculaires. Fut également avili l’un des joyaux du nouveau legs, qui servit d’ultime décor à la victime de cette inexplicable atrocité, qu’on disait aussi bien une femme éblouissante, voire elle-même un joyau de son sexe. Alors que le Director du Metropolitan, Mr Edward Robinson, amortissait un curieux retard de sa principale inauguratrice en distrayant ses autres invités autour des statues du Great Hall, un effroyable importun exerçait à l’étage — sur celle qui, se sachant inexacte, y aura cherché directement ses pairs —, son insigne talent pour la mort. Les notables, après un certain temps, n’en purent plus d’attendre, ni Mr Robinson de les retenir au milieu des visiteurs ordinaires. Ils montèrent donc inaugurer des images que, très bientôt, ils n’en purent plus de voir.

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